Dans le train, le 5 octobre 2023
Bonjour,
Dans la newsletter d’aujourd’hui nous écrivons à propos du ménage à l’ère de l’IA (pas d’inquiétude, ce n’est qu’une anecdote pour parler d’IA et de relations humaines), des interactions humaines ou de ce qu’il va en rester si nous ne faisons pas attention, d’un rapport très récent et très intéressant de l’UNESCO avec des recommandations pour les établissements d’enseignement. Nous donnons aussi quelques nouvelles à propos de notre dernier ouvrage.
Bonne lecture,
Christiane
Temps de lecture: 8 minutes
J'ai testé batmaid.
Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit d'un outil en ligne permettant de réserver des services de ménage.
Jusqu'à présent, je m'occupais moi-même de cette tâche passionnante. Non pas parce que je l'aime particulièrement, mais parce que je ne me donnais pas la peine de trouver quelqu'un pour le faire à ma place. J'ai procrastiné pendant des années, jusqu'au moment où j'ai lu "The Big Leap" (Le Grand Saut) de Gay Hendricks.
Il s'agit d'un excellent ouvrage qui explique que dans la vie professionnelle et privée, nous passons par plusieurs étapes ou "zones". Il y a la zone d'incompétence, c'est-à-dire les tâches que l'on accomplit sans passion et sans vrai talent (dans mon cas : le ménage, ou la gestion comptable de ma société). Ensuite, il y a la zone de compétence : les choses que l'on fait bien, mais pour lesquelles on n'a pas de passion (la liste est longue). Puis vient la zone d'excellence : les choses que l'on fait bien et que l'on aime. Enfin, il y a la zone de génie, où nous sommes dans le flow, très compétents, et où nous n'avons pas l'impression de travailler ou de faire d'efforts. Hendricks explique pourquoi et comment il faudrait faire le grand saut, pour passer de notre zone d'excellence à notre zone de génie, ainsi que les freins qui nous retiennent.
J'ai trouvé ma zone de génie il y a seulement quelques années, après avoir passé des années à fluctuer dans les trois premières zones. J'ai recommandé ce livre à une chère amie, et nous avons eu l'occasion d'en discuter à maintes reprises. J'ai souvent dit qu'il fallait que j'applique les principes de Hendricks et que je sorte de ma zone d'incompétence en déléguant, par exemple, les tâches de ménage. La comptabilité a déjà été déléguée à une fiduciaire depuis des années.
Mon amie m'a parlé de Batmaid, un service en ligne qui s'occupe de tout : on indique le jour souhaité pour le ménage, le nombre de pièces, les éventuels extras (four, fenêtres, …). On paie en avance, et on n'a qu'à attendre notre maid.
Je fais donc appel à Batmaid. Le jour venu (vendredi dernier) j'attends avec impatience ma maid pour faire mon grand saut dans ma zone de génie. Le téléphone sonne, et c'est ma maid qui ne trouve pas ma maison. Elle ne parle pas un mot de français, mais elle parle bien l’anglais, ce qui n'est pas inhabituel dans la région genevoise/côte vaudoise où j’habite. À ce moment-là, j'oublie que j'ai décrit en français les tâches de ménage à faire sur le logiciel en ligne.
À la maison, je lui montre les pièces à nettoyer au rez-de-chaussée et les produits de ménage, puis je fais mon big leap à l'étage supérieur, lui disant de ne pas hésiter à m'appeler si elle a besoin de quelque chose. Je suis dans le flow pendant deux heures, avec le bruit de l'aspirateur en arrière-plan (j’aurais préféré le bruit de vagues, mais on fait avec ce que l’on a).
Lorsque je descends au rez-de-chaussée, il ne manque qu'une demi-heure à la fin du temps prépayé. Je constate que les fenêtres sont très propres (mais je ne l'avais pas demandé - “but it’s nice to see the sun” elle me dit), que la machine à café et les autres ustensiles sont éblouissants (mais ce n'était pas une priorité), que le four est à moitié fait (pourtant un de mes "extras" prioritaires), que la salle de bain n'est pas nettoyée (c'est là où j'en avais le plus besoin), et que la chambre à coucher ne l'est pas non plus.
Je suis consternée et un peu mal à l'aise (car j'aurais dû m'assurer dès le départ que nous nous étions comprises sur les priorités, et il aurait été préférable de superviser un peu) et je lui demande ce qu'il s'est passé.
En discutant avec elle, je découvre qu'elle ne sait pas vraiment se servir de l'application, au point qu'elle se retrouve parfois à faire du ménage à l'autre bout du canton, alors qu'elle n'a ni véhicule privé ni abonnement pour les moyens de transport publics. Par conséquent, lorsqu'elle accepte ces mandats, elle perd un après-midi et ne gagne presque rien.
Lorsque le soir, au dîner, je raconte cette expérience, on me donne une autre interprétation de ce qu’il se serait passé : ma maid aurait délibérément pris du temps pour des tâches non prioritaires afin de faire ensuite ce dont j'avais réellement besoin et de se faire payer en argent comptant pour le temps supplémentaire, en détournant ainsi l’application et la commission.
Je préfère continuer à croire à ma première hypothèse, car ça fait moins mal à l’égo.
Quel est le rapport avec l’IA, le numérique et l’éducation?
Mon anecdote met en évidence deux choses :
Tout d'abord, le fait de disposer d'applications performantes ne garantit pas nécessairement que le service offert sera également performant si l'un des utilisateurs n'a pas les compétences techniques (ou linguistiques) pour les utiliser. Dans ce cas, nous parlons d'une fracture numérique de deuxième niveau : nous disposons d'outils numériques, mais nous ne savons pas en tirer profit. Une vaste littérature s'est penchée sur cette thématique depuis des années (voir les références à la fin de ce texte, pour les abonnés payants).
Ensuite, ce monde numérisé nous fait parfois oublier les principes de base des interactions interpersonnelles. J’ai de bonnes compétences sociales, mais j’ai tout délégué à une application, et le résultat a été une déception tant pour moi que pour ma maid.
Les intelligences artificielles génératives ne vont pas améliorer la situation. Si nous ne sommes pas attentifs, elles pourraient l'aggraver, devenant ainsi des intelligences artificielles dégénératives.
Le dernier rapport de l’UNESCO, au sujet des fractures numériques
Le rapport de l’UNESCO (Guidance for generative AI in education and research), publié en septembre dernier et portant sur les intelligences artificielles génératives en éducation et dans la recherche, nous met en garde contre le risque d'accentuation de ces fractures.
Plusieurs éléments très utiles et intéressants ressortent de ce rapport. Je ne mentionnerai ici que la partie consacrée aux mesures à prendre pour réduire les biais induits par les intelligences artificielles et les fractures numériques.
Les modèles actuels des intelligences artificielles génératives, tels que ChatGPT, sont formés à partir de données provenant d'utilisateurs en ligne qui se situent en grande majorité dans les pays du Nord, ce qui reflète les valeurs et les normes du Nord. Les voix du Sud et des communautés indigènes sont donc sous-représentées, car les populations “pauvres en données”, y compris les communautés marginalisées du Nord, ont une présence numérique minimale ou limitée en ligne. Si une séquence de mots apparaît fréquemment dans les données d'entraînement de l'intelligence artificielle - comme c'est le cas pour les sujets courants et non controversés ainsi que les croyances dominantes - elle est susceptible d'être répétée par l’IA dans ses résultats. Cela risque de limiter et de compromettre le développement d'opinions et d'expressions d'idées diverses et de marginaliser davantage les voix déjà marginalisées.
Pour que les outils d'intelligence artificielle générative contribuent véritablement à relever les défis fondamentaux de l'éducation, ils doivent être accessibles de manière inclusive, sans distinction de genre, d'ethnicité, de besoins éducatifs spéciaux, de statut socio-économique, de lieu géographique, de statut de déplacement, etc. De plus, ils doivent être conçus pour favoriser l'équité, la diversité linguistique et le pluralisme culturel.
Pour ce faire, des mesures sont recommandées :
Promouvoir la connectivité universelle et les compétences numériques afin de réduire les obstacles à l'accès équitable et inclusif aux applications d'intelligence artificielle.
Élaborer des critères de validation pour les outils d'intelligence artificielle générative afin de garantir l'absence de biais de genre, de discrimination envers les groupes marginalisés ou de discours haineux intégrés dans les données ou les algorithmes.
Développer et mettre en œuvre des spécifications inclusives pour les outils d'intelligence artificielle générative, et mettre en place des mesures institutionnelles pour protéger la diversité linguistique et culturelle lors du déploiement à grande échelle de ces outils dans l'éducation et la recherche. Les spécifications pertinentes devraient exiger des fournisseurs qu'ils incluent des données dans plusieurs langues, en particulier les langues locales ou autochtones, dans la formation des modèles GPT pour améliorer la capacité des outils d'intelligence artificielle à répondre et à générer un texte multilingue. Les spécifications et les mesures institutionnelles devraient strictement interdire aux fournisseurs d'intelligence artificielle de discriminer les locuteurs de langues autochtones, et exiger des fournisseurs qu'ils cessent de promouvoir des systèmes favorisant les langues dominantes ou les normes culturelles.
Extra
Dans la newsletter précédente, je vous ai parlé de notre ouvrage paru il y a quelques semaines au Québec: Développer la stratégie numérique de votre établissement d’enseignement.
Je vais vous partager dans cette newsletter et dans les suivantes quelques contenus de l’ouvrage.
Une de mes copies est déjà partie par courrier postal dans le canton de Berne, auprès d’une enseignante (abonnée à cette newsletter).
Je vais recevoir trois grosses boîtes contenant 102 livres la semaine prochaine. Je vais réfléchir au lancement de l’ouvrage en Suisse, avec des présentations probablement à Genève, Lausanne, Fribourg … et aussi un lancement en ligne (il faut “juste” que je trouve du temps).
Voici un extrait de l’introduction et une des motivations pour l’écriture de cet ouvrage:
… “l’introduction des technologies numériques dans les établissements n’est pas nouvelle. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2015), ces initiatives portées par les gouvernements et les ministères de l’Éducation n’ont fait qu’augmenter ces dernières années ; avec un succès mitigé, toutefois. Les directions d’établissement se trouvent parfois dans la position délicate de devoir implémenter une stratégie portée par le ministère ou le département responsable de l’éducation, sans nécessairement savoir comment le faire. (…) Elles ne disposent pas d’outils pour accompagner ce changement en considérant les enjeux et les bénéfices potentiels.” p.2
Dans notre ouvrage nous proposons de développer la stratégie à partir de principes de management stratégiques reposant sur
l’évaluation de la situation initiale (avons nous vraiment besoin d’introduire les technologies numériques dans l’établissement et si oui, pourquoi? Cela concerne également les IA)
le diagnostic (où en sommes nous par rapport à l’utilisation des technologies? Des outils d’IA?)
la conception de la stratégie (quelle est la vision de notre école et quels seront les objectifs prioritaires par rapport aux technologies de manière générale ou par rapport aux outils d’IA de manière plus spécifique?)
la réalisation (quels moyens ou projets allons nous mettre en oeuvre pour réaliser les objectifs?)
le contrôle de la stratégie (1 ou 2 ans plus tard, où en sommes nous par rapport à ce qui était prévu?)
Est-ce ce vous avez besoin d’aide pour élaborer votre stratégie?
Voulez-vous que je présente l’ouvrage dans votre établissement/département?
Habitez-vous en Suisse et souhaitez-vous recevoir une copie avant la sortie en librairie en Suisse (prévue en janvier-février 2024)?
Contactez-moi!
Vous pouvez nous contacter aussi pour une consultation, un cours ou un atelier pour vous aider dans une ou plusieurs étapes de la conception de la stratégie!
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